Lors de cette séance d'introduction on a abordé sous forme de débat avec Fabrice les thèmes suivants:
1) Quelle conception de la justice aborder? Faut-il partir de la doctrine du contrat social, ou faut-il partir d'une autre façon de penser la justice, d'une autre tradition de pensée politique: celle du jusnaturalisme (Aristote, Saint Thomas, et actuellement Amartya Sen)? Il convient de noter que les deux traditions de pensée politique défendent l'idée que c'est la question de la justice (y compris la justice du pouvoir à mettre en place) qui est LA question centrale en philosophie politique. Selon Aristote, la justice des structures sociales et politiques tient non pas au contrat mais à l'orientation effective de ces structures et toutes les institutions vers le bien des gens, du fait de la constitution qui impose cette direction comme obligatoire à travers divers mécanismes (il s'agit là d'une question de justice élémentaire dans la situation en cause, comme l'a indiqué John Cooked). Cette orientation permet aux gens considérer l'ordre constitutionnel comme leur bien commun, c'est-à-direr de réaliser une mise en commun entre eux sur des éléments essentiels. La justice élémentaire en question est constitutive de mise en commun. Aristote va même jusqu'à dire que "tout commun se constitue grâce à du juste", que tout ce qui est mis en commun l'est parce c'est du matériellement juste, c'est-à-dire de l'adéquat à la situation en cause ("τὸ δὲ κοινὸν πᾶν διὰ τοῦ δικαίου συνέστηκεν", Ethique à Eudème, VII, 9, 1241 b 14). On reviendra dans la dernière section du cours (section 11) sur la question de la justice des structures sociales et politiques, qui est le fondement sur lequel repose chacune des sections de ce cours.
2) La philosophie politique doit-elle partir de l'idée de nation ? Notons que ceux qui répondent oui à cette question prennent souvent aussi la position que c'est la question du pouvoir et pas celle de la justice des structures qui est centrale en philosophie politique. Ou plutôt doit-elle partir de l'idée que chacun des quelques 150 pays qui existent actuellement constitue une "mise en commun" qui ne se trouve pas nécessairement associée à la nation, bien que ce soit parfois le cas (Aristote commence La politique en disant "nous voyons que toute cité est une sorte de mise en commun..." sans du tout faire référence à l'idée de nation, bien au contraire), et parler en conséquence de "communautés politiques" (Athènes, Thèbe, Corinthe, Sparte, etc.) plutôt que de "communautés nationales"?
3) Les communautés politiques se fondent-elles sur une idée préalable de la nature humaine? Et en philosophie politique, c'est-à-dire dans cette réflexion sur les communautés politique existantes, faut-il tout faire reposer sur une définition préalable de la nature humaine? On répondra que non. Tout repose sur la justice élémentaire des structures sociales mise en place.
4) Evoquer la question du bien commun en moraliste, comme une exigence de dépassement des intérêts individuels, c'est autre chose que parler de cette question en philosophie politique, c'est-à-dire comme une question de justice élémentaire: comme l'exigence que les structures sociales et politiques, les institutions et les autorités soient exclusivement orientées vers ce qui est utile au gens, vers leur avantage (le bien commun comme "utilité commune", comme ensemble de conditions-cadre)? On reviendra sur la question du bien commun dans la dernière section de ce cours (celle qui est consacrée à la justice des structures sociales et politiques).
5) La question de la loi naturelle: Thomas d’Aquin aborde la loi naturelle en lien avec les biens humains fondamentaux (la vie, la connaissance de quelque chose de vrai, les relations interpersonnelles, etc.) qu'on découvre quand on analyse ce que signifie concrètement des structures sociales, des institutions et des autorités orientées, du fait de la constitution, vers ce qui est utile aux gens. Pour saint Thomas, la loi naturelle est donc liée à la question du bien. C'est l'approche de la loi naturelle qui va être présentée plus bas (voir sections 8 et 9 ci-dessous). Dans cette approche, la question du droit (la justice élémentaire dont je viens de parler sous chiffre 1 ci-dessus, y compris la question du droit naturel), d'une part, et la question de la loi naturelle, d'autre part, sont des questions différentes, bien que liées entre elles en raison de l’horizon normatif que représente pour toutes les questions de justice et de droit la réaction de la raison naturelle en présence de biens humains (comme on va le voir dans les sections 8 et 9, la loi naturelle tient en effet à cette réaction de la raison naturelle en présence de biens humains).
4) La différence entre le bien commun et l'ajustement et la mise en réseau des intérêts particuliers, une notion qui selon le libéralisme devrait remplacer celle de bien commun.
On n'a pas eu le temps d'aborder la question du jugement pratique relatif aux questions de justice (on va discuter ce sujet sous section 11 ci-dessous), ni la question du jugement pratique relatif aux biens humains (on va discuter ce sujet dans les questions 8 et 9 ci-dessous), ainsi que le rôle dans ce contexte, de la délibération, et en conséquence de l'argumentation.