1) Introduction
On revient au premier point que l'on a vu au début de ce cours, la question de la justice (voir supra le texte "Introduction - D'où partir pour cette réflexion sur les communautés politiques existantes", section1). Il s'agit de comprendre l'idée d'Aristote d'utiliser au niveau politique et constitutionnel la conception du matériellement juste propre à la perspective du jusnaturalisme en matière de droit et de justice (le jusnaturalisme aristotélicien en matière de droit et de justice est un courant de pensée qui a beaucoup influencé les juristes, du droit romain jusqu'à nos jours).
2) La raison pour laquelle la politique conditionne tout
Il faut d'abord comprendre à quelle profondeur conduit la question de la justice quand on la pose à propos des communautés politiques, et pas à propos d'un simple litige entre particuliers.
La question de la justice est à la base de toutes les sections de ce cours de philosophie politique. Nous allons toutefois partir ici de la section 4 pour montrer comment la question de la justice se présente quand on la pose à propos des communautés politiques.
Comme on l'a vu dans cette section 4, Aristote recherche ce qui est architectonique en amont des activités immanentes, parmi les divers savoir-faire, les arts et les sciences. Il faut bien comprendre la nature de cette recherche et éviter de se laisser saisir par l'abstraction et les généralités. On a en effet découvert avec cette recherche d'Aristote un trait caractéristique de son anti-platonisme: pour lui, l’observation de l’exercice concret d’une activité et de ses conditions d’exercice constitue un meilleur point de départ pour la réflexion sur les communautés politiques qu’une approche générale et abstraite propre à la pensée spéculative. Il vaut mieux selon Aristote partir de l’ordre qui existe réellement entre une activité, par exemple "aller à cheval", et une autre, par exemple celle du forgeron ou du cordonnier : en observant ce qui se passe au niveau de nos pratiques, on découvre qu'une activité est fin par rapport à d’autres, au niveau de nos raisons d'agir, et ces autres et leurs résultats sont des moyens. Comme le dit Aristote en donnant l’exemple des différents arts et savoirs qui sont au service de l’équitation (c’est-à-dire de "aller à cheval"), lorsqu’une pluralité d’arts et de sciences tombent sous une seule puissance (par exemple la puissance ou capacité "d’aller à cheval", donc l’équitation), la fin de la puissance architectonique (en l’occurrence, "aller à cheval" est la fin de l’équitation) est en effet préférée à la fin de chacun des différents arts et sciences qui sont à son service (fabriquer des mors et des fers à cheval, pour l’art du forgeron, et produire des selles et des rênes, pour l’art du cordonnier, etc.) ; en effet, « c’est en raison de celles-là [les fins des capacités architectoniques] que l’on poursuit les autres [les fins des autres capacités] (τούτων γὰρ χάριν κἀκεῖνα διώκεται) » (Eth. Nic. I.1, 1094a 15). On découvre la subordination des arts, sciences et capacités, les uns par rapport aux autres, que seules les pratiques humaines concrètes et leurs motivations révèlent.
Au terme de cette recherche sur les pratiques humaines, Aristote considère que ce qui est "le plus décisif et par excellence architectonique" parmi toutes les sciences, tous les arts et tous les savoir-faire, c'est la politique. C'est elle qui conditionne tout le reste. Aujourd'hui cela apparait par exemple à travers l'enjeu du climat, l'enjeu de l'état de notre maison commune la terre, et ce qui s'impose pour éviter la catastrophe (voir le langage du Pape François dans son Encyclique Laudato si). C'est dans cette perspective, c'est-à-dire à partir d'une dimension propre à ce qui conditionne tout et s'impose pour cette raison, que « la considération de la fin ultime de la vie humaine appartient à la politique » (« …ad politicam pertinere considerationem ultimi finis humanae vitae », Thomas d’Aquin, In decem libros Ethicorum Aristotelis ad Nicomacum expositio, édit. par R. M. Spiazzi, Milan 1964, para. 31, p. 8).
Aristote utilise au début de l'Ethique à Nicomaque de simples indices pour montrer que c'est bien la politique qui conditionne tout, par exemple le fait qu'elle légifère sur tout ce qu'il faut faire et sur tout ce qu'il faut s'abstenir de faire. Mais au-delà de ces indices, il y a la raison profonde de cette primauté pratique de la politique sur tout le reste (de cette primauté au niveau du conditionnement): c'est la justice.
On est ainsi conduit à la justice comprise au bon niveau de profondeur: si la politique a ce caractère souverainement architectonique et décisif, c'est parce qu'en elle tout tourne autour de la justice, et donc autour de ce qu'impose la justice élémentaire en présence de biens humains en jeu dans la situation en cause quand il s'agit de la formation d'une communauté politique et de son maintien en existence, ou au contraire de sa destruction. Les décisions qui sont prises en matière d'ordre international quand il s'agit de la question climatique, et de la même manière à un autre niveau celles qui sont prises à propos de l'ordre constitutionnel concernant la communauté nationale, sont une oeuvre de la raison pratique, comme le dit Thomas d'Aquin, et elles le sont en ce sens fondamental que cet ordre dépend de l'impartialité d'une appréciation sur ce qui s'impose comme adéquat dans la situation en cause, compte tenu des biens en jeu et des circonstances. Tout dépend d'un jugement de justice à la base d'une mise en commun, s'il y a une mise en commun. Le jugement de justice en question va en particulier déterminer quel est le cadre dans lequel s'exerce le pouvoir le plus élevé dans la mise en commun en question, quelles sont les limites de ce pouvoir. Tout est suspendu à une telle appréciation. C'est son impartialité qui donne au savoir-faire politique et à ce qu'il réalise (l'ordre constitutionnel et social) un caractère décisif, souverain, architectonique. Comme on l'a dit, Aristote soutient que « ce qui est commun est en totalité constitué par du [matériellement] juste (τὸ δὲ κοινὸν πᾶν διὰ τοῦ δικαίου συνέστηκεν) » (Ethique à Eudème, VII, 9, 1241 b 14).
Bien sûr, les choses ne sont pas toujours parfaites. Mais moins le jugement de base a un caractère impartial, moins la structure de base et l'ordre constitutionnel s'impose comme décisif, souverain et architectonique. A l'extrême, il y a des pays où tout est une question de pouvoir personnel et d'arbitraire. Rien ne s'impose alors sinon par la force de la personne qui commande. Aristote pense cependant que ce n'est pas cette situation qui est caractéristique des communautés politiques quand il s'agit d'un pays libre (caractéristique de ce qu'il appelle "le pouvoir concernant l'être humain et la communauté dans laquelle il vit", Politique, III.6, 1287b16-18, Trad. Pellegrin, p. 239). Selon son approche, ce qui est caractéristique à ce niveau, c'est l'exercice de la raison humaine dans des jugements de justice qui déterminent ce qui est adéquat, ajusté. C'est le sens de la rule of law (pour comprendre que cette expression est la traduction anglaise du grec d'Aristote, qui l'oppose au commandement de l'homme qui détient le pouvoir (le "ruler" du pays en question), voir mon article ci-dessous, intitulé "Principe de prééminence du droit en droit suisse"). Cette approche d'origine aristotélicienne était fréquemment utilisée à Rome par les partisans de la République, contre l'Empire - et par exemple Cornelius Nepos, dans la biographie de Caton l'Ancien, affirme: «alors la cité était gouvernée non pas par la puissance, mais par le droit et la justice (tum non potentia, sed jure res publica administrabatur)» (Cicéron, La Repubblica, a cura di Francesca Nenci, Milan 2008, cité à la p. 47 de l'introduction).
Au début de l'Ethique à Nicomaque, avec cette interrogation sur ce qui est le plus architectonique, Aristote est donc en train d’identifier la fonction de la raison pratique humaine dans son exercice relatif non pas à ce qui concerne une seule personne, mais à ce qui concerne aussi ses voisins, sa femme, ses enfants, tous ses amis et ses concitoyens (et, dirait-on aujourd'hui compte tenu de la mondialisation, "ce qui concerne tous les autres être humains"). Il s'agit de la raison pratique humaine dans son exercice politique. C’est uniquement la raison pratique dans cette fonction au niveau politique, donc lorsqu’il ne s’agit pas de prudence mais de justice et de droit, qui a cette souveraineté propre à ce qui conditionne tout, ce caractère d’être ce qu’il y a de plus architectonique et de plus enveloppant parmi toutes les sciences, les arts ou les autres puissances humaines. C’est ce que manquent complètement toutes les interprétations qui ramènent la philosophie politique d’Aristote à une doctrine de la vertu, ou, plus généralement, à une extension de l’éthique, et qui considèrent que la vertu de prudence, et non pas celle de justice est centrale. Kant a critiqué à juste titre la “doctrine de la prudence” (Klugheitlehre), visant notamment les moralistes français, mais aussi Aristote, leur opposant son « éthique du devoir » (voir par exemple Felix Heidenreich et Gary Schaal, Introduction à la philosophie politique, p. 112). Il a raison dans la mesure où toute une partie de la philosophie se rattachant à Aristote et à Thomas d'Aquin a perdu de vue que la question de ce qui est matériellement juste et injuste ne relève pas de la prudence. C’est pourquoi d’ailleurs Aristote dit que la loi (une formulation de ce qui est matériellement juste) dépend non seulement d’une certaine prudence, mais aussi de l’intelligence (l'intelligence de la situation en cause dans le litige, de ses caractéristiques, et d'une éventuelle adéquation de telle ou telle solution) (voir Eth. Nic., X.10, 1180a21-22).
3) La reprise par Aristote d'éléments du Protagoras de Platon, avec un complément important
Aristote reprend dans ce début de l'Ethique à Nicomaque, avec ses considérations sur la politique comme ce qui est le plus architectonique (ce qui conditionne tout), les éléments contenus dans le mythe exposé par Protagoras dans le dialogue de Platon, mais en rajoutant quelque chose de substantiel.
Platon a magnifiquement décrit à travers le récit de Protagoras la situation dramatique d'hommes qui "n'avaient pas le savoir politique [parce que] celui-ci se trouvait chez Zeus" (321d, traduction de Frédérique Ildefonse, in: Platon, Oeuvres complètes sous la direction de Luc Brisson, p. 1447). "Ils cherchaient bien sûr à se rassembler pour assurer leur sauvegarde en fondant des cités. mais chaque fois qu'ils étaient rassemblés, ils se comportaient de manière injuste les uns envers les autres, parce qu'ils ne possédaient pas l'art politique, de sorte que toujours ils se dispersaient à nouveau et périssaient" (322b). Et Zeus, "de peur que notre espèce n'en vînt à périr toute entière, envoie Hermès apporter à l'humanité ... le jugement de justice pour constituer l'ordre des cités et les liens d'amitié qui rassemblent les hommes" (322c; pour la traduction du mot δίκη, j'ai toutefois remplacé l'expression "la Justice pour constituer l'ordre des cités..." par "le jugement de justice pour constituer l'ordre des cités...").
Platon a bien vu que l'ordre concernant la communauté humaine en question conditionne tout (aujourd'hui, en lien avec la question climatique, on parlerait d'un ordre international qui conditionnerait tout s'il était en place, mais cela est valable aussi au niveau des communautés nationales pour toutes les questions qui se posent à leur niveau). C'est cela, grâce au jugement de justice, tout l'objet de l'art politique, qui, suivant la décision de Zeus, est un art qui doit être en possession de chaque personne participant à la communauté humaine.
Platon avait vu que la difficulté c'était la justesse de l'ordre juridique des communautés en question, la justesse de la structure de base de celles-ci, de l'organisation constitutionnelle et sociale, qui va conditionner tout le reste, en particulier le maintien de la cité à travers les années, et tout ce que ce maintien rend possible, par opposition à la désagrégation de la cité et la guerre civile. Il y donc déjà chez Platon déjà un lien entre structures sociales et politiques et jugement de justice (John Rawls reprendra cette idée en la formulant de la façon suivante: « l’objet premier de la justice [du "sens de la justice" selon l'expression que Rawls utilise ailleurs, du "jugement de justice" selon l'expression que j'ai utilisé pour traduire δίκη en français] c’est la structure de base de la société » (Théorie de la justice, p. 33).
Mais Platon n'avait pas présenté cette question de justesse des structures comme dépendant de l'exactitude d'un discernement, d'une appréciation sur la situation sociale dans laquelle le bien d'une multitude de personnes est en jeu et il y a un pouvoir qui est mis en place. Pour Platon, l'intuition de valeurs absolues existant indépendamment de nous accompagne certainement le don de ce savoir qui "se trouvait chez Zeus", et cette intuition se traduit en jugements de justice immédiatement parfait. Il n'y a pas besoin de réflexion sur le pouvoir de discernement et d'appréciation dont l'homme est capable parfois. Il en va autrement chez Aristote.
Aristote reprends certes tous les éléments présentés par Platon, en précisant que cet ordre, c'est un ordre entre les habitants du pays en question, que c'est un ordre qui concerne tout particulièrement la question des autorités et de leur pouvoir respectif, et que c'est cet ordre que l'on appelle la constitution, et que les habitants d'un pays mettent en commun s'il leur parait juste (ils ne mettent donc pas seulement en commun le territoire sur lequel ils habitent).
Aristote reprends aussi, certes, l'idée centrale du récit de Platon, d'un "savoir politique" ou "art politique" à l'origine de l'ordre concernant les communautés politiques; en Politique III.12, Aristote désigne en effet comme « la faculté politique » (1282b17, traduction Pellegrin, p. 247) ce que l'Ethique à Nicomaque I.1 caractérise comme « la plus souveraine de toutes et par excellence architectonique » parmi toutes les sciences, comme celle dont la « fin sera le bien même de l’homme » (1094b7); il s’agit d’une capacité dont l'Ethique à Nicomaque VI.8 dit que c’est avant tout la capacité de faire de bonnes lois (constitutionnelles).
Mais surtout Aristote précise qu'avec ce savoir, cet art ou cette science, tout dépend d'un discernement humain, et que c'est là l'oeuvre la plus fondamentale de la raison humaine quand elle conçoit et détermine quelle doit être la structure de base de la communauté en question, son ordre juridique et constitutionnel. Aristote précise tout d'abord cela dans Politique I.2, par une simple suggestion en passant, qui sera ensuite développée à partir de Politique III.6. Le texte de Politique I.2 est extrêmement bref : « La vertu de justice, c’est quelque chose de politique ; en effet, le jugement de justice (δίκη) est l’ordre concernant la communauté politique, et la vertu de justice c’est le discernement de ce qui est juste », du droit (Politique I.2, 1253a37-40; pour la traduction de l’expression « l’ordre concernant la communauté politique », voir l’article d’Aubenque qui pose la question de savoir s’il s'agit d’un génitif subjectif, ou d’un génitif objectif, en ce sens que la justice est la mise en ordre de la communauté politique, cet ordre résultant dès lors non de la naturalité historique et contingente de cette communauté, mais d’un principe plus haut", Pierre Aubenque, Problèmes aristotéliciens. Philosophie pratique, Vrin 2011, p. 171 et 172). Il faut connaitre le traité sur la justice et le droit contenu dans le Livre V de l'Ethique à Nicomaque, pour comprendre que par cette brève remarque de la Politique, Aristote veut dire que les jugements de justice qui déterminent l'ordre concernant les communautés politique, consistent dans un discernement de ce qui est matériellement juste dans la situation en cause, et que la vertu de justice (que le Livre V appelle "particulière") est une capacité de discerner en ce sens, avant d'être une capacité de se comporter justement.
4) L'idée que la justice implique un discernement de ce qui est juste dans la situation en cause, une appréciation, un jugement au sens d'une appréciation portant sur une situation factuelle précise
Ce qu’apporte de nouveau Aristote dans ce texte de la Politique, c’est l’idée que la justice implique un discernement de ce qui est juste, du droit, un discernement (relatif aux situations) qui s’effectue dans ce qu’Amartya Sen désignera comme des « jugements de justice ». Avec ces jugements, il s’agit suivant cet auteur, qui comprend à mon avis correctement la position aristotélicienne, d’approches comparatives qui se préoccupent de juger de réalisations sociales concrètes indépendamment de critères qui seraient donnés par une conception préalable de la justice absolue (les intuitionnistes et les constructivistes soutiennent au contraire qu’il faut, préalablement au jugement, des critères et un concept de justice absolue – ils ne s’opposent entre eux que sur la façon de les obtenir, les intuitionnistes soutenant qu’il y a intuition de valeurs absolues existant indépendamment de nous, comme on vient de le dire pour Platon, alors que les constructivistes défendent une objectivité tenant à la procédure que l'on choisit pour la construction de ces critères, par exemple celle du contrat, dans la tradition de pensée du contrat social).
Ainsi, selon l'approche d'Aristote, ce que la capacité politique détermine à travers l'impartialité d'un discernement sur la solution adéquate à telle ou telle situations donnée, lorsqu’elle prend en ligne de mire le bien humain en jeu dans la situation en cause, c’est le matériellement juste au niveau de la structure de base de la communauté politique, c'est du « sachgerecht », du matériellement justifié (sur la "Sachgerechtigkeit" dans la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse, et comment cette notion vient d'Aristote, voir ci-dessous mon étude intitulée Justice distributive aristotélicienne en droit fiscal selon le TF: Une étude de philosophie du droit sur la notion de "Sachgerechtigkeit"). Aristote qualifie ce matériellement juste au niveau politique et constitutionnelle de « bien politique », et il l'identifie à l’utilité commune (Politique, III.12, 1282b14-18). En même temps, contrastant totalement avec cette souveraineté au niveau du conditionnement, il y a la fin que cette science ou puissance prend en ligne de mire dans la ligne de l'utilité commune (cette fin dont l'Ethique à Nicomaque en 1094b4 dit qu’elle est « le bien humain », et dont le début de la Politique dit que c’est le bien « le plus souverain de tous »); si on situe cette fin par rapport à la distinction qu’Aristote fait au début de l'Ethique à Nicomaque (« mais une distinction se présente parmi les fins ; en effet, les unes sont des actes, les autres, à côté de ces actes, sont des œuvres », Eth. Nic. I.1, 1094a5), on comprend qu'elle est constituée par des actes humains (qu’Aristote qualifie de κύριαι τῆς ζωῆς, souverains s’agissant de la vie humaine, en Eth. Nic. I.10, 1100b30) qui sont des opérations immanentes
Dans l’article paru dans Aletheia 43, juin 2013, pp. 168 ss, j'explique ce qui m'a conduit à la découverte que c'est cela qui est au centre de cette autre tradition de pensée politique: l'utilisation au niveau politique et constitutionnel, à ce niveau de profondeur, de la conception du matériellement juste propre à la perspective du jusnaturalisme en matière de droit et de justice (voir dans cet article la section intitulée « En direction d’une philosophie politique : comment comprendre en quoi consiste l’expérience de base dans ce domaine »). Comme je le dis aux pages 27 à 33 de mon article "Peut-on se passer...", dans une section intitulée "Retour à l'usage de la notion de bien dans la pensée juridique et politique contemporaine", ce qui m'a mis sur la piste c'est au départ une réflexion à partir des recherches de Hans Jonas, Jürgen Habermas et Francis Fukuyma sur les risques pour les générations futures d'une modification du génome humain transmissible à la descendance (une modification qui se ferait dans le contexte d'un projet d'homme augmenté, donc dans un contexte de transhumanisme). Dans une situation asymétrique comme celle-ci (nous pouvons faire quelque chose qui affectera peut-être négativement les générations futures, que celles-ci ne pourront peut-être pas défaire, ou nous pouvons au contraire renoncer à le faire), se posent les questions suivantes: 1) la question du bien que représente ce que la Loi fondamentale allemande appelle "les bases naturelles de la vie" (y compris un patrimoine génétique humain transmissible à la descendance non modifié) pour les générations futurs; et 2) conjointement, en même temps, la question de la justice dans une telle situation asymétrique (il y a dans une telle situation une obligation de responsabilité qui n'est pas l'image inversée du droit de quelqu'un d'autre, tout au moins si l'on se réfère au jugement d'un spectateur impartial. On découvre ainsi une obligation qui s'impose en raison de l'impartialité d'un jugement de justice dans une situation donnée. Tout cela a été très bien exposé par Amartya Sen dans son livre L'idée de justice.
5) L'utilité commune, le bien commun
Pourquoi cette assimilation par Aristote (Politique, III.12, 1282b14-18) de ce qui est matériellement juste au niveau politique, à l'utilité commune? Qu’est-ce qui fait que l’orientation vers l’utilité commune s’impose s’agissant des structures sociales et politiques ?
La réponse classique en philosophie politique depuis Aristote est : c’est la justice qui l’exige, la justice ou la justesse des structures sociales et juridiques, notamment de la constitution et de l’ensemble des institutions et normes mises en place. Seules en effet des structures qui remplissent leur fonction peuvent être considérées comme matériellement justes, c’est-à-dire comme adéquates à la situation en cause. Seule est juste en matière de structure sociales, l’orientation vers le bien des gens, vers le bien de tous les gens : l’orientation vers l’utilité commune.
L’idée de cette importance centrale de la justice en philosophie politique (« la question classique de la philosophie politique depuis Aristote, celle de la justice », dit le manuel Introduction à la philosophie politique, en rajoutant que « la question de la justice est LA question centrale de l’histoire de la philosophie politique » (Felix Heidenreich et Gary Schaal, Introduction à la philosophie politique, CNRS Éditions, 2012, p. 122 et 123) se trouve implicitement à la base de l'approche du Rapport mondial sur le développement humain de 1990. Ce n’est que plus récemment toutefois que le rédacteur principal du Rapport mondial, Amartya Sen, l’a développée pour elle-même dans un ouvrage (Amartya Sen, L’idée de justice, Champs Flammarion, 2012).
Quand on examine sur la base d’un « lien à établir entre le moyen et la fin ultime » au niveau politique si le système économique ou juridique et constitutionnel de tel ou tel pays remplit sa fonction ou non, comme le fait le Rapport mondial de 1990, c’est souvent parce qu’on considère que c’est dans ce domaine quelque chose qui s’impose, qui relève donc de l’obligatoire, mais d’un obligatoire qui n’est pas l’image inversée du droit de quelqu’un d’autre (et donc qui ne correspond pas aux obligations réciproques qui résulteraient d’un contrat entre les membres de la société, entre qui les droits de l’un correspondraient aux obligations de l’autre, comme l’imagine la tradition de pensée du contrat social, qu’Amartya Sen écarte en raison de cette erreur, et traite de « institutionnalisme transcendantal », p. 30).
Selon l'analyse d'Amartya Sen, ce qui s’impose comme juste en matière de structures sociales relève en réalité d’« obligations unilatérales induites par l’asymétrie du pouvoir » dans la situation en cause. Amartya Sen souligne que c’est une délibération et l’élaboration d’un « raisonnement impartial sur la justice » s’agissant de la situation en cause qui conduit à la reconnaissance d’obligations unilatérales, indépendamment de toute réciprocité et de tout contrat social, indépendamment « d’une coopération mutuellement profitable, donc d’une logique de l’avantage personnel [réciproque] » (p. 257).
Il y a donc le discernement que dans cette situation, la justice ou le droit au niveau constitutionnel – pour les structures, les autorités et les institutions de la communauté politique en cause – c’est purement et simplement de « viser l’avantage commun (τὸ κοινῇ συμφέρον σκοπεῖν) » (Politique, III.6, 1279a 17, trad. Pellegrin, p. 227). La justice ou le droit en question (soit, précisément, « viser l’avantage commun ») est donc l’objet d’un discernement, d'un jugement au sens d'un discernement à propos de la situation en cause, de ce qu'elle exige ("Sachgerechtigkeit"). Le jugement porte sur le fait que s’impose comme adéquat à la situation, compte tenu des caractéristiques de celle-ci, et donc obligatoire, de viser l’avantage commun, et pas sur ce qu’est véritablement, en l’occurrence, l’avantage commun (une autre question qui va devoir faire l’objet d’une délibération publique). C’est une situation analogue à celle du médecin qui se promène dans la rue, et tout à coup il apparait que de l’autre côté de la rue il y a un de ses confrères qui a une crise cardiaque. Le malheureux est entouré de gens qui ne savent pas que faire et attendent passivement que l’ambulance arrive. Un tiers impartial jugera probablement que le médecin qui se promène a l’obligation de se rendre utile dans cette situation, même s’il hait son confrère et déteste l’idée de lui rendre service (Amartya Sen reprend à Adam Smith l’idée du « spectateur impartial », afin, dit-il, de « fonder les jugements de justice sur des impératifs d’équité » (L’idée de justice, p. 102), et il rejette la position de John Rawls, suivant qui « nous pouvons dire qu’un jugement est impartial que s’il est rendu en accord avec les principes qui seraient choisi dans la situation originelle » (Théorie de la justice, para. 30, p. 2019). C’est à l’existence d’une telle obligation qu’aboutit le raisonnement sur ce qui est matériellement juste dans la situation en cause (c’est le seul médecin à proximité immédiate). On voit bien que la question de savoir ce que le médecin va précisément devoir faire pour son confrère (pour le bien de son confrère), une fois qu’il aura traversé la route et se rendra utile à la personne étendue sur le trottoir, est une autre question.
C’est donc la découverte par induction que la justice (la justesse) des structures constitutionnelles consiste pour elles à « viser l’avantage commun », qui conduit au bien commun, plus précisément à ce bien commun qu’est l’ensemble des conditions sociales nécessaires au développement humain. Cela amène Sellers à dire qu’il y a à ce niveau politique, précisément, une « republican identification of justice with the common good » (Mortimer N. S. Sellers, Republican Legal Theory. The History, Constitution and Purposes of Law in a Free State, New York, 2003, p. 121). C'est cette identification entre bien commun et justice matérielle minimale qui implique de définir le bien commun comme « l’ensemble des conditions sociales qui permettent l’épanouissement du bien vivre humain » (voir la définition du Catéchisme de l'Eglise catholique, §1906), donc comme fondamentalement de l’utile. Aristote utilise régulièrement l’expression « utilité commune » pour le désigner.
6) La distinction entre constitutions droites et constitutions déviées
Selon Politique III.1 « les constitutions diffèrent spécifiquement les unes des autres » (Politique, III.1, 1275a38) et selon Politique III.6, il y a « toutes celles qui visent l’avantage commun [et] se trouvent être droites selon le juste absolu, [et] celles, au contraire, qui ne visent que le seul intérêt des gouvernants [et] sont défectueuses, c’est-à-dire qu’elles sont des déviations des constitutions correctes » (Politique, III.6, 1279a17). En Pol. III.13, Aristote apporte une précision sur ce qu’il entend par avantage commun : ce n’est pas « l’avantage des meilleurs, ou de la majorité » mais « l’avantage de la cité toute entière c’est-à-dire l’avantage commun des citoyens » (Politique, III.13, 1283b37-43), tous ensemble et chacun en particulier
Politique III.6 est souvent mal compris; on l’assimile à la position de Bodin quand il défend « le gouvernement selon les lois de nature ». Il faut bien voir que viser effectivement l’utilité commune, pour une constitution ou ordre constitutionnel, c’est orienter structurellement les choses dans cette direction. Aristote parle de constitutions droites, contrairement à Bodin, pas de dirigeants ou de gouvernements honnêtes – bien que cet aspect, que nous n’étudions pas dans cet article, soit aussi quelque chose d’important. Orienter structurellement vers l’utilité commune, pour une constitution, c’est contenir des normes qui mettent en place certaines procédures et certaines structures, éventuellement certaines dispositions matérielles, assurant autant que possible la visée effective de l’utilité commune. Aristote donne l’exemple du « chacun à tour de rôle » dans les anciennes communautés politiques composées de très peu de personnes. Mais il y a les mécanismes plus complexes développés à Rome à l’époque de la République, en Angleterre au 17ème siècle, puis aux Etats-Unis à partir de 1776 avec les constitutions des divers Etats puis la constitution fédérale, en France à partir de 1789, et enfin dans le monde contemporain. Montesquieu a joué un rôle important à travers son analyse de la constitution non écrite de l'Angleterre. La séparation des pouvoirs est essentielle, et aussi l'indépendance du pouvoir judiciaire.
7) La tradition de pensée politique du républicanisme (un mot qui vient de res publica, titre d'un ouvrage de Cicéron)
Avec les éléments de philosophie politique que l'on vient d'expliquer, on a manifestement affaire à une autre philosophie politique que celle qui s'appuie sur la façon de penser la justice dans la tradition de pensée du contrat social. Cette autre philosophie politique, c'est celle qui s'appuie sur la façon de penser la justice propre à ce que l'on a désigné lors du premier cours comme la tradition jusnaturaliste aristotélicienne. Selon cette autre philosophie politique, la justice au niveau constitutionnel, pour les autorités et les institutions, c’est fondamentalement « viser l’avantage commun (τὸ κοινῇ συμφέρον σκοπεῖν) », donc en particulier traiter la vie des gens, même ceux pour lesquels leur mère avait opté pour un avortement mais qui sont pour finir nés, comme une fin pour la communauté nationale et pour toutes ses institutions, y compris les tribunaux. C’est comme on l'a dit la dimension de justice des structures constitutionnelles qui conduit à cette position sur la vie comme "bien essentiel" (expression utilisée par le député qui a proposé la loi du 4 mars 2002, à la suite de la décision de la Cour de cassation dans l'affaire Perruche), c'est sur cette dimension de justice que repose l'exigence de cette orientation des institutions vers le bien des gens.
La mise en œuvre du jusnaturalisme en philosophie politique aboutit à une philosophie politique qu'on peut illustrer à travers des extraits duCatéchisme de l'Eglise catholique. Le but en disant cela est de susciter la question suivante: quelle est la philosophie politique sous-jacente à cette prise de position sur la philosophie politique que l'on trouve dans le Catéchisme de l'Eglise catholique, notamment quand elle exige, de la part des régimes politiques et des autorités politiques, qu'ils servent le bien commun?
Ce n'est manifestement pas la tradition de pensée du contrat social! C'est en revanche la philosophie politique développé par Aristote (et la tradition aristotélicienne, notamment Cicéron dans le De Republica, saint Thomas dans son commentaire de la Politique d'Aristote, etc.). En quoi consiste cette philosophie politique, qu'on désigne parfois comme la tradition républicaine. Suivant Philip Pettit, « la tradition républicaine est romaine […] bien que les écrivains romains qui l’élaborèrent fussent les héritiers d’un ensemble d’idées provenant de la Grèce antique et en particulier de la pensée aristotélicienne […]. Ces idées romaines connurent un regain de vitalité lors de la Renaissance italienne […]. L’héritage néoromain républicain fût extraordinairement influent dans l’Angleterre du 17ème siècle; […] tandis que les premiers néoromains anglais étaient antiroyalistes, ceux qui embrassèrent ensuite ces idées fondamentales concevaient qu’un Etat libre puisse être monarchique pour autant que le monarque soit soumis à la loi […]. Ces idées républicaines eurent un effet détonnant dans les colonies américaines de l’Angleterre, les colons en venant à considérer que le pouvoir que le parlement britannique exerçait sur leurs vies était lui-même arbitraire et exempt de tout contrôle. » (Philip Pettit, Republicanism. A Theory of freedom and Government, Oxford 1999, p. 380-381).
Pour que le lecteur puisse se faire rapidement une idée des enseignements complexes et subtils du républicanisme, on propose de les résumer en trois points, qu’on illustre par quelques citations :
– le rejet de l’absolutisme (« the evil to be avoided is tyranny ; that is to say, the summa imperii, or unlimited power, solely in the hands of the one, the few, or the many » (John Adams, Defense of the Constitutions of Government of the United States of America against the attack of M. Thurgot in his Letter to Doctor Price, Londres 1794, Vol. I, p. 99).
– à sa place, le « règne de la loi » (ou le « gouvernement de la loi »), combinée avec l’orientation vers l’utilité commune (on affirme en effet simultanément que « the very definition of a Republic is an Empire of laws, and not of men » (John Adams, Thoughts on Government, 1776, in : Jack N. Rakove, Founding America,. Documents from the Revolution to the Bill of Rights, New York 2006, p. 79-86, p. 80), et que « Republican government is no other than the government established and conducted for interest of the public, as well individually as collectively » (Thomas Paine, Rights of Man, New York 2004, p. 162);
– la loi qui « règne », celle qui gouverne le pays, c’est l’ordre constitutionnel – non pas n’importe lequel, mais celui qui garantit la réalisation de la justice et l’égalité (« le rôle de ce qui gouverne est en effet de garder la justice, et, partant, l’égalité » (Aristote, Ethique à Nicomaque, traduit par J. Tricot, Paris 2007, Livre V, Chapitre 10, 1134b2, p. 267), et, par là, assure l’orientation vers l’utilité commune.
8) En quoi consiste la justice selon le courant de pensée du jusnaturalisme
A l'origine, c'est une conception de la justice et du droit indépendante de la dimension politique. Elle est plutôt développée en droit privé, et a été très influente en droit romain. Elle fait l'objet des développements d'Aristote dans le Livre V de l'Ethique à Nicomaque.
Pour comprendre la conception de la justice du jusnaturalisme, nous utilisons durant le cours un dialogue sur la justice entre Michel Foucault, qui défend une conception marxiste de la justice,, et Noam Chomsky, qui défend une conception jusnaturaliste de la justice.
Nous avons présenté dans le premier document du présent cours, intitulé "Présentation générale", l'approche de la justice et du droit dans le courant jusnaturaliste. Nous renvoyons à ce document où nous expliquons que selon cette conception de l’objet des jugements de justice – le matériellement juste –, chercher le droit c’est chercher une solution adéquate aux circonstances spéciales du cas particulier, ou aux caractéristiques objectives de la situation générale à régler. Le droit selon cette approche est donc essentiellement une solution adéquate à découvrir par induction; c’est une dimension qui implique une égalité objective relativement aux choses en cause.
Nous rappelons ici uniquement ce qui concerne plus spécialement es jugements de justice, dans cette façon de penser le droit et la justice. On peut trouver surprenant que des jugements de justice soient possibles en l’absence de critères préalables, selon le courant jusnaturaliste. Kant soutient que ce n’est pas possible (pour lui, la justice distributive aristotélicienne n’est pas du droit «proprement dit (strict)», et un juge ne peut pas se prononcer car ce serait décider «selon des conditions indéterminées». Voir Emmanuel Kant, Métaphysique des mœurs, II Doctrine du droit, trad. par Alain Renaut, Paris 1994, Appendice à l’introduction à la doctrine du droit, I, p. 22. La décision ne peut alors être que « une question d’appréciation politique », voir note 13). Mais la réalité de la pratique du droit montre qu’il se trompe. Amartya Sen soutient à juste titre que sont possibles sans identification préalable des exigences de la justice parfaite, sans donc ce « jeu unique de principes de justice » (L'idée de justice, p.15) au centre des préoccupations des théories contractualistes, non seulement « des diagnostics d'injustice » (p. 12), « l'identification d'une injustice réparable » (p. 12), des « jugements de justice » (p. 13), mais aussi « comment déterminer si tel changement social particulier va accroître la justice » (p. 14), « comment réduire l'injustice et faire progresser la justice » (p. 13), de façon générale « l'évaluation des réalisations sociales » (p. 484) et « des comparaison entre des degrés de justice et d'injustice relatives » (p. 30), il affirme bien plus : « En ce qui concerne le postulat tenant cet exercice comparatif pour impossible tant que n'ont pas été préalablement identifiées les exigences de la justice parfaite, on peut démontrer qu'il est erroné de façon générale » (p. 14). Tout tient dans ce domaine, non pas à l'identification préalable des exigences de la justice parfaite, mais à « une appréciation raisonnée » (p. 22), à « l'impartialité d’un débat public ouvert » (p. 485), au travail de « la raison pratique sur la justice », au « débat argumenté » (p. 14). Dans cette perspective, dit-il, « raisonner et examiner la question impartialement est essentiel » (p. 15).
Selon cette conception de l’objet des jugements de justice – le matériellement juste – chercher le droit c’est chercher une solution adéquate aux circonstances du cas particulier, ou aux caractéristiques objectives de la situation générale à régler. Le droit selon cette approche est donc essentiellement une solution adéquate à découvrir par induction; c’est une dimension qui implique une égalité objective relativement aux choses en cause.
9) L'idée d'Aristote de donner à cette conception de la justice et du droit un rôle central dans la compréhension des mises en commun politiques, et de leurs structures de base
Aristote pense que cette conception du matériellement juste est aussi utilisée au niveau des communautés nationales, s’agissant aussi bien de la mise en commun initiale et de son but, que de la distribution du pouvoir politique et de la distribution des autres avantages générés par la coopération que suppose la communauté politique.
Il s'agit à ce niveau aussi, à la base, d'une jugement sur une situation, et de la recherche de ce qui est adéquat aux caractéristiques de la situation en cause (une situation avec une asymétrie de pouvoir entre le gouvernement et la population).
Aristote confirme expressément que le discernement de ce qui est juste qui est à la base de la structure de toute communauté politique, c’est le discernement de ce qui est matériellement juste dans la situation en cause (celle d’une communauté politique avec les pouvoirs qui s’y exercent), donc le discernement de ce qui est adéquat aux caractéristiques objectives de cette situation, le discernement de ce qui est « sachgerecht » dans ce domaine. Aristote apporte cette précision en Pol. III.12 en se référant expressément à la conception du juste (du droit) exposée dans Eth. Nic. V, une conception selon laquelle chercher le juste (le droit), c’est chercher une solution adéquate aux circonstances du cas particulier, ou aux caractéristiques objectives de la situation générale à régler, cette idée donc que le juste (le droit) est essentiellement une solution matériellement juste. Selon Pol. III.12, c’est là une conception du juste (du droit) qui est aussi centrale quand on recherche le juste (le droit) qui sert de base ou de point de référence « pour constituer l’ordre des cités ». On peut donc à ce niveau aussi (le niveau de l’ordre constitutionnel pour tout un pays) appliquer la formule relative au discernement du matériellement juste: « [κρίνειν] ποῖα ποίοις ἁρμόττει », « judicare qualia qualibus congruunt » (Eth. Nic., X.10, 1181b9). Tricot traduit de façon pas très heureuse, par « discerner […] quelles sortes de dispositions […] doivent répondre à une situation donnée » (p. 569) (nous faisons correspondre le grec d’Aristote avec la traduction latine de Guillaume de Moerbeke (S. Thomae Aquinatis, In decem libros Ethicorum Aristotelis ad Nicomachum exposition, Marietti Editori 1964, p. 564).
Dialogue entre Foucault et Chomsky sur la justice
Articles de H. Torrione sur la philosophie du droit :
RDS-2017 Torrione: Principe de prééminence du droit (rule of law) en droit suisse
22 Torrione: L'approche selon la réalité économique en droit fiscal et en philosophie du droit
Torrione 2019: Contre l'identification de la justice à la réciprocité