Quel est le bien humain le plus grand parmi ceux que peuvent viser les communautés nationales, parmi la multiplicité de biens qu'elles peuvent favoriser à travers la mise en place de cet "ensemble de conditions sociales" qu'est l'utilité commune (Catéchisme de l'Eglise catholique, §1906)? On en a déjà vu deux en partant du Rapport mondial sur le développement humain de 1990. On va en voir un troisième.
Avec le texte de Simone Weil (L'Iliade ou le poème de la force), on comprend que le bien humain le plus grand que les communautés politiques peuvent viser et rendre possible, c'est l'amitié entre proches, un bien que ce texte permet au lecteur d'appréhender "en le figurant", quand le texte parle de "ce monde [familier de la paix] où chaque homme est pour ceux qui l’entourent ce qui compte le plus" (figuraliter: selon Thomas d’Aquin, quand il s'agit d’« appréhender la fin ultime dans la vie humaine », il faut le faire "en la figurant », In decem libros Ethicorum Aristotelis ad Nicomacum expositio, édit. par R. M. Spiazzi, Milan 1964, para. 24, p. 7).
Le texte de Simone Weil qui se trouve ci-dessous sous document 1 de cette section, met toutefois ce bien en évidence à partir des dommages causés par la guerre. Dans un pays qui a sombré dans la guerre, comme la Syrie actuelle, ce qui est notamment détruit, comme l’Iliade l'illustre magnifiquement, c’est selon les mots de Simone Weil « le monde […] précaire et touchant de la paix, de la famille, ce monde où chaque homme est pour ceux qui l’entourent ce qui compte le plus » (p. 3). Si la destruction d’une cité (comme Troie, dont parle l'Iliade) est « le malheur le plus grand qui soit parmi les hommes » (p. 28), c’est en particulier en raison de l’atteinte portée par une telle destruction à ce « monde précaire et touchant de la paix, de la famille »; un tel monde, en effet, ne peut pas pleinement se déployer sans la protection d'une communauté nationale, sans un ordre constitutionnel adéquat.
Le plus grand des biens que les communautés nationales peuvent viser et rendre possible n'est donc pas un idéal à réaliser par ces communautés au moyen de leur propres ressources et moyens. C'est au contraire la préservation de quelque chose qui est déjà là: la réalité concrète des relations personnelles existantes avec nos proches. C’est dans ce sens conservateur qu’il faut comprendre la leçon qu’Aristote tire de l’Iliade : « l’amitié est le plus grand parmi les biens pour les cités (φιλίαν […] μέγιστον εἶναι τῶν ἀγαθῶν ταῖς πόλεσιν) » ; elle est ce qui est le plus précieux dans ce que les communautés politiques visent à rendre possible, à favoriser, à protéger (Pol. II.4, 1262b7-9); et « des lois correctement établies » ne devraient pas aboutir « à des résultats en tout point opposés [à un tel bien] », dit Aristote (Pol. II.4, 1262b3-5).
Que les opérations humaines constitutives de l'amitié entre proches soient effectivement fin pour les communautés politiques existantes, et que donc ce soient des biens humains, on peut le montrer de différentes manières:
Figuraliter, comme le fait l'ouvrage de Simone Weil;
par des arguments empiriques, une fois que l'on a compris que "le choix délibéré de vivre ensemble n'est autre chose que l'amitié", comme le dit Aristote dans Politique, III.9, 1280b38-39, trad. Tricot, p. 210 (sur ces arguments empiriques, voir le document 2 de cette section, ci-dessous);
par un raisonnement complexe (voir ci-dessous).
Considérations additionnelles (lecture pas nécessaire):
a) Comment situer l’une par rapport à l’autre la finalité exercée par l'utilité commune, et celle exercée par les biens particuliers que sont les proches, auxquels on est attaché par des liens d'amitié (cette amitié constitue un bien commun, que l'utilité commune a pour fin de rendre possible)
Thomas d'Aquin reprend une idée d'Aristote en affirmant que "la loi humaine [la constitution des communautés politiques existantes] a principalement en vue l’établissement d’une amitié entre les hommes". Il n'entend pas par là exclusivement ni même avant tout la concorde, la paix civile entre les membres de la communauté politique en question (bien que ce soit une condition faisant partie de cet ensemble de conditions-cadre qu'est le bien commun), mais ce que la paix civile rend possible, notamment la préservation et le déploiement de "ce monde où chaque homme est pour ceux qui l'entourent ce qui compte le plus", suivant l'expression de Simone Weil.
Les communautés politiques nationales visent donc quelque chose de plus ultime que la concorde entre citoyens. Yves Simon l'explique très bien dans Philosophie du gouvernement démocratique (trad. de Claude Herbert, Paris 2015). Je présente ce texte à travers un résumé que j'en ai fait pour un de mes articles (Document 3 de cette section, ci-dessous: voir en particulier les points 34 à 47 notés en marge du texte de mon projet d'article). Pour Simon, le bien commun, loin d’être une cause finale exclusive, est une cause finale qui présuppose par-delà elle-même une multiplicité de biens particuliers déterminés (des personnes), qui sont chacune plus substantiellement cause finale que ne l’est le bien commun lui-même, bien qu’il soit commun et même universel (si l’on envisage les choses du point de vue de l’univers entier, ce qui est possible en théologie comme le dit Thomas d’Aquin, Somme théologique, I-II, q. 19, a. 10), alors que chaque personne est singulière.
A l'inverse, la position platonicienne sur l'unité absolue de la communauté politique conduit à l’uniformité, à ce que Simon décrit comme « l’extinction systématique de la diversité qualitative, qui altère le genre même de plénitude que la fonction métaphysique du multiple se doit d’atteindre » (Yves Simon, Philosophie du gouvernement démocratique, p. 91). « Le bien commun ne peut exister si ce n’est en tant que bien d’une multitude ; mais il n’y a pas de bien "d’une multitude" à moins que des biens particuliers fasse l’objet d’une intention de la part d’appétences particulières, et l’objet d’une attention de la part d’agents particuliers » (p. 94). La diversité qualitative, nécessaire pour qu’il y ait bien commun, ne survit, dit Simon dans une phrase où il montre que par « biens particuliers » il entend les personnes, que « tant que mon cœur est rempli d’amour pour des personnes d’une importance unique » (p. 91). La communauté politique ne doit donc pas être de type platonicien, communiste : le particulier doit continuer à pouvoir être cause finale, même s’il y a une communauté politique mondiale à un certain moment dans l’avenir (cette possibilité ne doit pas être exclue, voir Nicolas Michel, Vers une société politique mondiale? Une communauté à la mesure de l’homme, Nova et Vetera 85ème année, n. 4, octobre, novembre, décembre 2010). On se tromperait donc si l’on imaginait que, désormais, dans l’ordre de la causalité finale seule « l’humanité » devrait mouvoir la volonté humaine, seul le commun ou le tout devraient désormais tenir comme cause finale. En effet, le tout s’autodétruirait alors inévitablement (p. 91).
Dans la section suivante (section 7 ci-dessous), on verra que cette compréhension que dans la réalité le particulier continue d'être cause finale, malgré la finalité "universelle" que représente le bien commun de l'univers entier, et d'être cause finale au-delà de la finalité que représente le bien commun, va nous conduire à découvrir un troisième ordre de finalité: celle qui est propre à la "fin réelle, objective et transcendante" qu'est potentiellement chaque homme pour ceux qui l'entourent, dans la mesure où il est pour eux "ce qui compte le plus" (c'est-à-dire dans la mesure où il y a de l'amitié). Il y a en effet une finalité d'un autre ordre que celle exercée par le bien commun (cette dernière finalité relève plutôt de l'immanence, de l'épanouissement de chaque réalité dans l'ensemble auquel elle appartient, c'est-à-dire de la fin au deuxième sens du terme).
b) La simple survie de l'individu comme fin exclusive des communautés politiques?
Beaucoup de philosophies politiques modernes et contemporaines depuis Hobbes considèrent que les communautés politiques ne peuvent pas admettre d'autre fin propre que la simple survie des individus qui les composent. Selon ces philosophies le projet de conservation que les hommes forment en s'associant est certes un projet minimal, mais comme c'est le seul qu'il est nécessaire d'admettre en raison de l'instinct de conservation au niveau de chaque individu, on bâtirait une philosophie politique sur du sable en allant au-delà de ce strict nécessaire. Au delà de ce minimum, tout relève de la subjectivité individuelle, dit-on dans cette perspective. On considère dans ces philosophie que la philosophie politique doit admettre comme seul point ferme l'idée que "la fin propre de l’activité humaine est de survivre" (comme H. L. A. Hart l'affirme dans son ouvrage Le concept de droit), et que "la nature humaine ne peut pas subsister par d'autres moyens que l'association des individus" comme l'affirme (Hume, Treatise of Human Nature, III, ii (Of Justice and Injustice).
Robert Spaemann (Document 4 de cette section, ci-dessous) a bien vu qu'une telle philosophie politique aboutit pour des raisons de méthode à la subordination de l'existence humaine aux conditions de sa conservation, et à l'orientation vers une finalité exclusivement individuelle, celle précisément que l'instinct de conservation dicte à chaque individu dans sa solitude absolue, à quoi tout se termine. Il désigne ce projet comme une inversion de la téléologie, son rabattement complet sur les conditions de la conservation individuelle, le choix de faire comme si tout tenait à un gène égoïste qui ne poursuit que sa propre reproduction.
C'est sur cette construction que se greffe souvent la tradition de pensée du contrat social. L'aspect de la liberté sans limite à l'état de nature, et l'aspect de l'instinct de conservation de soi sont alors les deux faces d'une même médaille. Ils vont de pair. Selon Thomas Hobbes (Léviathan, XIV), "le droit de nature, que les écrivains politiques appellent communément jus naturale, est la liberté que chacun a d'user de sa propre puissance, comme il le veut lui-même pour la préservation de sa propre nature, autrement dit de sa propre vie et, par conséquent, de faire selon son jugement et sa raison propres, tout ce qu'il concevra être le meilleur moyen adapté à cette fin". La subjectivité totale des jugements relatifs au "meilleur moyen adapté à cette fin" que dicte l'instinct de conservation, associe indissolublement, selon Hobbes, la liberté négative (l'absence de tout lien externe qui nous empêcherait de faire ce que l'on veut) et la préservation de soi.
Rien n'est plus opposée à la conception de la fin des communautés politiques que nous avons présentée à l'aide du texte de Simone Weil, que la conception moderne qui fait du maintien de l'existence individuelle, de la simple conservation de l'individu, la seule fin des communautés politiques.
c) Le plaisir, ou l'absence de douleur comme fin exclusive des communautés politiques?
La position des utilitaristes est intéressante pour notre recherche, parce qu’ils partent du même problème que celui que nous sommes en train de discuter. Ils sont très conscients de l’action collective de la communauté politique en vue de la bonne vie, donc très conscients de cette finalité au niveau des communautés politiques, et ils examinent aussi en quoi consiste exactement ce qui est visé comme une fin ultime à ce niveau, par delà la simple survie, par exemple par un gouvernement en train de prendre des mesures dans des domaines tels que la santé, la sécurité et l’instruction), mais aussi à travers le fonctionnement d’une économie de marché, et même d’une société de marché.
Selon la thèse qu’ils défendent tout se ramène à une dimension subjective, qui est pour eux ultime (le plaisir et la jouissance subjective, ou l’absence de douleur sont « les seules choses désirables comme fins » dit John Stuart Mill, L’utilitarisme, Trad. Georges Tanesse, Paris, Flammarion, 1988, p. 49). Par rapport à cette dimension subjective ultime, toute activité humaine relève des moyens. Il n’y a pas pour eux de diversité des fins : « toute action », non seulement « toute mesure de gouvernement » mais aussi « les actions d’un individu privé », doit se concevoir exclusivement en fonction de « la tendance que celle-ci semble avoir d’augmenter ou de diminuer le bonheur [le plaisir] du parti dont l’intérêt est en question ». C’est d’ailleurs ainsi qu’est défini le principe d’utilité : c’est « le principe qui approuve ou désapprouve toute action » en fonction de la tendance qu’on a indiquée. C'est cette fin exclusivement qu'auraient les communautés politiques que l'on peut observer!
Aristote a rejeté la thèse de l'hédonisme antique, pour diverses raisons liées à l’analyse de l’expérience humaine. Ces raisons valent aussi contre l'utilitarisme. En mettant le plaisir au premier plan, l’hédonisme et l'utilitarisme passent à côté de deux points fondamentaux : (1) comme le dit très bien Finnis commentant une phrase d’Aristote (« personne ne choisirait une vie où, gardant une intelligence de petit enfant toute son existence, il trouverait dans les plaisirs de l’enfance toute la joie possible », Eth. Nic., X.2, 1174a1-3, trad. R. Bodéüs, p. 508), « the decisive point of human activity (even when the activity is for the sake of […]), is the activity itself », « as distinct from the mere experience of it », et (2) celles qui parmi les activités possibles sont des opportunités (ce sont elles les biens humains fondamentaux) sont « discernible only by intelligence »: il s'agit donc d'autre chose que d'un pur ressenti. Le troisième point de la critique d'Aristote tient au soi, à l’identité du sujet de l’activité en lien avec cette activité, que l’utilitarisme ne prend pas en considération puisque pour lui c'est le plaisir qui compte et pas l'identité de la personne: selon Aristote, « nul ne choisirait de posséder le monde entier en devenant d’abord quelqu’un d’autre que ce qu’il est… » (Eth. Nic., IX.4, 1166a20, p. 444). Si c’est le cas, c’est qu’on ne retient pas comme désirable, c’est-à-dire comme fin, le seul plaisir ou absence de douleur (sur les critiques contre l'utilitarisme, voir le document 5 de cette section, ci-dessous).
d) Le raisonnement qui conduit à mettre évidence une fin d'un autre ordre pour les activités qui sont fins des communautés politiques, et à identifier en quoi consistent ces activités (amitié) et leur fin (ce sont les biens particuliers que sont les proches auxquels on est lié par des liens d'amitié)
Rien n'est plus opposée à la conception de la fin des communautés politiques que nous avons présentée à l'aide du texte de Simone Weil, que la conception moderne qui fait de la simple conservation, ou du seul plaisir (ou absence de douleur), la seule fin des communautés politiques.
Dans une optique aristotélicienne la question est de savoir quelle approche est plus attentive à l'expérience que nous avons de la fonction réelle des communautés politiques existantes que l'on peut observer, de la fin qu'elle poursuivent en fait le plus souvent quand il s'agit d'un pays libre. Parmi les arguments au sujet du fait que cette fin est en particulier (mais pas seulement) l'amitié, on a indiqué plus haut qu'il y a l'argument que constitue un raisonnement complexe qui montre que la position aristotélicienne sur "l'amitié comme le plus grand des biens pour les cités" est la bonne.
Ce raisonnement complexe conduit à mettre évidence 1) qu'il y a au niveau des communautés politiques des activités humaines immanentes que les communautés politiques visent en vue d'elles-mêmes, alors que les autres activités sont accomplies en vue de celles-ci, 2) que ces activités visées en vue d'elles-mêmes, ou certaines d'entre elles, ont elles-mêmes une fin qui est une fin d'un autre ordre que la fin des activités transitives, et 3) à identifier en quoi consistent cette fin d'un autre ordre, et les activités en question.
On va aborder maintenant ce raisonnement complexe au moyen de renvois à des passages d'un projet d'article qui figure comme document 6 (6.1, 6.2, 6.3, 6.4 et 6.5) dans la présente section, ci-dessous.
Il y deux points préalables à ce raisonnement, qui ressortent de ce que l'on a vu depuis le début de ce cours:
La question de la justice des institutions et des structures de base de la communauté politique vient avant toute explicitation du bien en vue duquel ces communautés sont constituées: c’est la question de la justice qui se pose d’abord au niveau politique (qu’est-ce qui est matériellement juste à ce niveau ? un certain ordre constitutionnel ? quel ordre constitutionnel ?), non pas la question de savoir si c’est telle ou telle conception du bien qui doit être retenue (pour une discussion de ce point, voir mon article dans Aletheia 44, déc. 2014, p. 93-147, en particulier p. 119). La formation de la communauté politique, c’est-à-dire essentiellement la détermination de l’ordre constitutionnel qui va faire l’objet de la mise en commun constitutive de la communauté politique en question, vient avant toute explicitation de ce qu’est exactement le bien humain en vue duquel cette mise en commun s’effectue. La conception précise que l’on se fait. de ce bien n’est donc pas le point de départ de la démarche en philosophie politique, lorsque l'on essaie de rendre compte des démarches qui interviennent dans la formation et le maintien en existence des communautés politiques.
Au-delà du principe de l'être humain comme fin des communautés politiques, auquel on est conduit par des considérations de justice élémentaire, il y a la question distincte suivante: "en quoi consiste le bien pour cet être?" ; c'est une question qui, selon Aristote, se tranche en observant de façon critique et réfléchie la fin que visent effectivement les communautés politiques existantes elles-mêmes (voir document 6.1 ci-dessous pour ce point).
Reprenons ce raisonnement complexe:
En observant la fin que visent les communautés politiques existantes, on s'aperçoit que collectivement nous ne préférons pas toute chose à cause d'autre chose: il est une fin de nos actions au niveau des communautés politiques que nous voulons à cause d'elle-même et les autre à cause de celle-ci; tout le monde est d'accord sur le fait que cette fin c’est le bonheur, compris comme un vivre et un bien vivre (ou bien agir), quelque chose donc qui ne peut se réaliser que dans l’exercice même de notre vie humaine, c’est-à-dire dans notre activité, envisagée dans sa manifestation la plus parfaite. L'existence constatable de points de convergence pratiques à cet égard, même entre des gens que tout oppose, joue un rôle central (voir document 6.2 ci-dessous pour ces divers points).
Il y a donc une diversité d'activités humaines: les activités qui relèvent de la fin des communautés nationales, et les activités qui relèvent des moyens en vue de cette fin (voir document 6.3 ci-dessous sur ce point).
Les activités qui relèvent de la fin des communautés politiques ont elles-mêmes un autre type de fin que les activités qui sont en vue d'elles (voir document 6.4 ci-dessous).
Objections contre l'idée que cette fin c'est exclusivement le plaisir, et aussi contre l'idée que c'est exclusivement la survie, et aussi contre l'idée que c'est exclusivement le bien commun (voir arguments contre l'utilitarismes dans le document 5 ci-dessous).
Résumé du raisonnement complexe qui précède, puis identification de cette fin d'un autre ordre, ainsi que de l'activité dont elle est la fin (voir document 6.5 ci-dessous).
e) Précision sur une affirmation dans le texte de Spaemann
Une fois bien compris ce qu'est cette "inversion de la téléologie" dont parle le texte de Dewitte en se référant à l'analyse de Robert Spaemann (document 4, ci-dessous), on va examiner attentivement comment ce texte de Dewitte (et donc probablement aussi Spaemann) présente la conception selon laquelle la fin ultime des communautés politiques est autre chose qu'exclusivement la survie et donc la satisfaction de l'instinct de conservation au niveau individuel (autre chose aussi qu'exclusivement le plaisir ou l'absence de douleur, et autre chose aussi que simplement le bien commun).
Il s'agit surtout du passage suivant dans le document 4 ci-dessous:
« Jusque-là, chaque être avait un « pour quoi » (un Wozu), c’est-à-dire visait une fin qui transcendait sa pure et simple existence factuelle et dans laquelle il trouvait son accomplissement. Cette fin ou cet objet ainsi visés étaient considérés comme une réalité première. L'autoconservation était donc secondaire en ce sens qu'elle n'était pas la préoccupation première et exclusive de chaque être et le sens ultime de toute chose (ce qui ne veut pas dire qu'elle fût absente). L'inversion de la téléologie consiste à ignorer de telles fins ou de tels objets visés intentionnellement, et à tenter de fonder les différents domaines d'être en les faisant reposer sur eux-mêmes, la fin intentionnelle et transcendante étant remplacée, dans ce projet d'autofondation, par cette fin immanente: la simple conservation (ou maximalisation) de la vie individuelle, de la société, mais aussi de la vie organique. »
Dans la section suivante (section 7), on va se demander si cette façon de présenter les choses est suffisamment précise, si elle est exacte. N'oppose-t-elle pas trop immanence et transcendance? A-t-elle bien compris le "pour quoi", la cause finale (dont on parle depuis le début de ce cours)? On va étudier attentivement à ce propos les textes d'Aristote et de Thomas d'Aquin sur la distinction entre le vivre et le bien vivre, et sur les différents ordres de finalités.
Simone Weil, L'Iliade ou le poème de la force
Jacques Dewitte, Spaemann ou l'inversion de la téléologie
Critique de l'utilitarisme (voir surtout pp. 75-76 du texte)
Le raisonnement qui conduit à mettre évidence une fin d'un autre ordre pour les activités qui sont fins des communautés politiques, et à préciser en quoi consistent ces activités :